• Ukiyo-e

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    Estampe à fond micacé de Utamaro : Trois beautés de notre temps, un détournement de la classique triade bouddhiste, dont Toyohinaest la « divinité » centrale.

     

    L'ukiyo-e 浮世絵, terme japonais signifiant « image du monde flottant » est un mouvement artistique japonais de l'époque d’Edo (1603-1868) comprenant non seulement une peinture populaire et narrative originale, mais aussi et surtout les estampes japonaises gravées sur bois.

    Après des siècles de déliquescence du pouvoir central suivis de guerres civiles, le Japon connaît à cette époque, avec l'autorité désormais incontestée du shogunat Tokugawa, une ère de paix et de prospérité qui se traduit par la perte d'influence de l'aristocratie militaire des daimyos, et l'émergence d'une bourgeoisie urbaine et marchande. Cette évolution sociale et économique s'accompagne d'un changement des formes artistiques, avec la naissance de l’ukiyo-e et les techniques d'estampe permettant une reproduction sur papier peu coûteuse, bien loin des peintures telles que celles de l'aristocratique Kanō.

    Les thèmes de l’ukiyo-e sont également tout à fait nouveaux, car ils correspondent aux centres d'intérêt de la bourgeoisie : les jolies femmes et les oiran (courtisanes) célèbres, les shunga (scènes érotiques), le théâtre kabuki et les lutteurs de sumo, les yōkai(créatures fantastiques), les egoyomi (calendriers) et les surimono (cartes de vœux), le spectacle de la nature et des meisho-e (lieux célèbres).

     

    Alors qu'il passe au Japon pour vulgaire de par sa valorisation de sujets issus du quotidien et de sa publication de masse liée à la technique d'impression de l'estampe, ce genre connaît à la fin du xixe siècle un grand succès auprès des Occidentaux. Après l’ouverture forcée par l'attaque des Navires noirs américains et la signature du traité inégal de la Convention de Kanagawa, le pays est forcé d'accepter le commerce avec le monde occidental (États-Unis, Royaume-UniFrancePays-Bas et Russie) à partir de 1858. L'arrivée en grande quantité de ces estampes japonaises en Europe et la naissance du japonisme influencent alors fortement la peinture européenne et, en particulier, l'école de Pont-Aven avec Camille PissaroPaul CézanneÉmile Bernard puis Paul Gauguin, et les impressionnistes.

     

    Interprétation de l'expression <<monde flottant>>

     

     

    Kaigetsudō DohanCourtisane debout (peinture sur soie).

     

    Ukiyo 浮世 « monde flottant », dans son sens ancien, est lourdement chargé de notions bouddhiques, avec des connotations mettant l'accent sur la réalité d'un monde où la seule chose certaine, c'est l'impermanence de toutes choses. C'est là pour les Japonais un très vieux concept qu'ils connaissent depuis l'époque de Heian (794-1185).

    Ce mot empreint de résignation, les habitants d'Edo (et, avec eux, ceux d'Ōsaka et de Kyōto) le reprennent au xviie siècle en le détournant de son sens à une époque où leur ville connaît une remarquable expansion due à son statut nouveau de capitale ainsi qu'à la paix qui règne désormais.

     

    Le terme ukiyo apparaît pour la première fois dans son sens actuel dans Les Contes du monde flottant (Ukiyo monogatari), œuvre de Asai Ryōi parue vers 1665, où il écrit dans la préface :

    Vivre uniquement le moment présent,
    se livrer tout entier à la contemplation
    de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier
    et de la feuille d'érable... ne pas se laisser abattre
    par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître
    sur son visage, mais dériver comme une calebasse
    sur la rivière, c'est ce qui s'appelle ukiyo.

     

    L'utilisation du mot ukiyo « monde impermanent » pour qualifier les « images »(e) — estampes et peintures — de l'époque est difficile à interpréter pour les Occidentaux qui découvrent l’ukiyo-e dans la seconde moitié du xixe siècle : ses connotations, son ironie latente — il est chargé de religiosité alors qu'il désigne la vie bouillonnante qui tourne notamment autour des « maisons vertes » et du « quartier réservé » du Yoshiwara — suscitent quelques interrogations. Edmond de Goncourt, amateur d'art japonais, s'efforce de les lever en posant la question à Hayashi, l'interprète japonais de l'Exposition universelle de 1878, qui deviendra l'un des grands pourvoyeurs de l'Occident en estampes. Celui-ci lui répond que « votre traduction de ukiyo-e par l'école du monde vivant […] ou de la vie telle qu'elle se passe sous nos yeux […] rend exactement le sens ».

     

    La transposition qui figure dans certains ouvrages français, « Image de ce monde éphémère », paraît pertinente car rendant compte tout à la fois de la notion d'impermanence bouddhique et de l'insouciance d'une société en pleine mutation, attachée à décrire les plaisirs de la vie quotidienne telle qu'elle est.

     

    Histoire

    Les ukiyo-e appartiennent à deux époques majeures de l'histoire du Japon : la période Edo, qui comprend les ukiyo-e des origines à environ 1867, puis (de façon beaucoup moins significative) l'ère Meiji qui se poursuit jusqu’en 1912. Dans son ensemble, la période Edo est plutôt calme, offrant ainsi un environnement idéal pour le développement de l’art sous une forme commerciale. L’ère Meiji, elle, se singularise par l'ouverture du Japon à l'Occident et le déclin de l’ukiyo-e traditionnel, dans son style, ses sujets et ses techniques (arrivée de couleurs chimiques, par exemple).

     

     

    L’estampe Ukiyo-e, un art a porter de tous

     Cette forme d’art connaît une grande popularité dans la culture métropolitaine d'Edo durant la seconde moitié du xviie siècle, naissant dans les années 1670 avec les travaux monochromes de Moronbu qui en fut le premier chef de file.

     

    Aspects économiques

    Initialement, les estampes étaient exclusivement imprimées à l’encre de Chine sumi ; plus tard, certaines estampes sont rehaussées de couleurs apposées à la main  — ce qui restait coûteux — puis par impression à partir de blocs de bois portant les couleurs à imprimer, encore très peu nombreuses. Enfin, dans la dernière moitié du xviiie siècleHarunobumet au point la technique d’impression polychrome pour produire des nishiki-e « estampes de brocart ».

     

    Les ukiyo-e sont abordables financièrement car ils peuvent être reproduits en grande série (de l'ordre de quelques centaines, car après trois cents exemplaires environ, le bois s'émousse et les traits deviennent moins précis). Ils sont principalement destinés aux citadins qui ne sont généralement pas assez riches pour s’offrir une peinture. Ce développement de l’ukiyo-e s'accompagne de celui d'une littérature populaire, avec les ventes importantes des kibyōshi et des sharebon. Le sujet initial des ukiyo-e était la vie urbaine, en particulier les scènes du quotidien dans le quartier des divertissements. De belles courtisanes, des sumotoris massifs, ainsi que des acteurs de kabuki populaires sont ainsi dépeints se livrant à des activités plaisantes pour l'œil. Par la suite, les paysages connaissent également le succès.

     

    Censure 

    La démocratisation de l'art apportée par l'estampe ne va cependant pas sans quelques contreparties.

    Les sujets politiques et les personnages dépassant les strates les plus humbles de la société n'y sont pas tolérés et n'apparaissent que très rarement. Bien que la sexualité n'y soit pas autorisée non plus, elle n'en est pas moins présente de façon récurrente. Les artistes et les éditeurs sont parfois punis pour la création de ces shunga au caractère sexuel explicite.

    On peut citer à cet égard le cas d'Utamaro, qui fut menotté pendant 50 jours pour avoir produit des estampes représentant la femme et les cinq concubines d'un célèbre personnage de l'histoire récente, Hideyoshi. Il est vrai qu'il avait par ce biais associé à un sujet libertin le monde politique de son temps.

     
    Départ nocturne pour un concours de poésie, vers 1787 (deux planches de droite du triptyque). 
    On voit ici la façon dont Shunman utilise les nuances de gris pour produire un de ses chefs-d'œuvre, malgré les limitations imposées par la censure.

    Aussi les estampes doivent-elles être approuvées par la censure du bakufu, le gouvernement militaire, et porter le cachet du censeur qui en autorise l'impression. Le rôle du censeur ne se limite d'ailleurs pas aux aspects de politique ou de mœurs, mais aussi, selon les époques, à la limitation des couleurs ; ainsi, les réformes de l'ère Kansei visent à lutter contre l'inflation et le luxe ostentatoire, en interdisant entre autres mesures l'emploi d'un trop grand nombre de couleurs dans les estampes, contrainte que certains artistes ukiyo-e tels que Kubo Shunman détournent de son but premier en concevant alors d'exceptionnelles estampes en subtils dégradés de gris.

    De façon plus anecdotique, mais très révélatrice de l'attitude des autorités envers le monde de l’ukiyo-e, les édits de censure allèrent, à partir de 1793, jusqu'à interdire de faire figurer le nom des femmes sur les estampes qui les représentaient, à la seule exception des courtisanes du Yoshiwara. Ce qui donna lieu à un nouveau jeu intellectuel pour des artistes tels qu'Utamaro, qui continua à faire figurer le nom de l'intéressée… mais sous forme de rébus. Cependant, la censure réagit dès le 8e mois de 1796, en interdisant dès lors de tels rébus.

     

     

    Naissance de la gravure sur bois au Japon

    Estampe bouddhiste antérieure à l’ukiyo-e, vers 1590.
    Fudō, un des douze deva, au milieu des flammes.

     

    Bien avant l'estampe japonaise telle que nous la connaissons au travers de l’ukiyo-e, existaient au Japon des gravures sur bois, réalisées selon une technique importée de Chine :

    - Ce furent d'abord des gravures sur bois d'origine bouddhiste, comportant des images sacrées et des textes. La toute première estampe imprimée au Japon fut donc le Sutra du Lotu, réalisée par Koei et daté de 1225, pour le temple Kofuku-ji à Nara, l'ancienne capitale du Japon.

    - Puis l'impression d'estampes, toujours de nature religieuse, se développe à Kyoto, la nouvelle capitale du du xiiie siècle au xive siècle (de 794 à 1868).

     

    Origine de l'Ukiyo-e

    Les racines de l’ukiyo-e, elles, remontent à l’urbanisation de la fin du xvie siècle qui favorise le développement d’une classe de marchands et d’artisans. Ces derniers commencent à écrire des fictions et à peindre des images rassemblées dans des ehon 絵本, « livres d’images » présentant des récits illustrés ou des romans, tels que les Contes d’Ise (Ise monogatari, 1608) de Honami Koetsu.

     

    Au début, les ukiyo-e sont souvent utilisés pour illustrer ces livres, mais progressivement, ils s’en affranchissent grâce aux épreuves réalisées sur une feuille volante ichimai-e ou aux affiches gravées pour le théâtre kabuki. Les sources d’inspiration sont à l’origine les contes et les œuvres d’art chinois. Mais les plaisirs offerts par la capitale sont de plus en plus présents, et les guides touristiques, ceux du Yoshiwara par exemple, sont eux aussi populaires et largement répandus, puisque Moronobu édite son Guide de l'amour au Yoshiwara 吉原恋の道引Yoshiwara koi no michibiki dès 1678. Puis, au xviiie siècle, cette image de la jolie fille (bijin) donne l'occasion, comme à Nishikawa Sukenobu, de figures à la beauté subtilement stylisée, produisant avec des kimonos splendidement ouvragés des compositions raffinées. Ces livres illustrés proposent ainsi des « catalogues » pour teinturiers. On voit aussi apparaître à la fin du xviiie siècle une véritable encyclopédie du monde des plaisirs, Le Grand Miroir de la voie de l'amour 色道大鏡Shikidō ōkagami, de Kizan Fujimoto 藤本箕山Fujimoto Kizan.

     

     Essor de l'Ukiyo-e

    L'ukiyo-e s'est développé peu à peu, au fur et à mesure que se révélaient de grands artistes. Le « découper » en périodes serait arbitraire ; en revanche, il est possible de « regrouper » les principaux artistes ayant permis les grandes étapes, chacune correspondant à un tournant : la création des « estampes de brocart » par Harunobu, par exemple, ou encore, l'apparition, dans un laps de temps finalement très bref, des trois artistes « phares » que furent KiyonagaUtamaro et Sharaku.

    De même, isoler l'œuvre de HiroshigeHokusai et leurs successeurs permet de mieux comprendre l'apparition de nouveaux sujets (les paysages), en relation avec l'influence de l'Occident.

     

    Ces regroupements, cependant, doivent être considérés comme des courants, pouvant se chevaucher à un moment donné.

     

    Les <<primitifs>>de 1670 à 1765(+ ou -)

     
    Livre illustré de motifs pour vêtements (hinagata bon), ici kosode(ancêtre du kimono). H. 22,6 cm. Moronobu, 1683. Freer Galley of Arts

    À partir de 1670 environ, et après quelques balbutiements, avec Iwasa Matabei, l’ukiyo-e commence véritablement son envol avec Moronobu, ainsi que Sugimura Jihei, que l'on confondra d'ailleurs avec lui très longtemps. Moronobu, tout particulièrement, a un rôle essentiel puisqu'on le considère généralement comme le fondateur de l'ukiyo-e, et, en tout cas, comme celui qui a su fédérer les premiers efforts pour en faire un nouveau genre abouti.

    Viennent ensuite d'autres grands artistes, parmi lesquels on doit citer Kiyonobu (1664-1729), qui réalise de nombreux portraits d'acteurs de kabuki (son père Kiyomoto était lui-même acteur de kabuki). Si le genre de l’ukiyo-e s'est alors déjà bien imposé, subsistent encore quelques artistes en dehors de ce style. Le plus important, le plus intéressant surtout, est sans doute Hanabusa Itchō, par sa touche vivante, brillante et originale.

     

    Masanobu (1686-1764), autre grand artiste de cette période, va introduire de nombreuses innovations techniques (treize, dit-on) qui permettront à l’ukiyo-e d'évoluer, telles que la perspective occidentale, le fond micacé, ou les estampes « laquées » pour leur donner du brillant urushi-e. On le crédite même de l'idée fondamentale de ne plus apposer les couleurs à la main, mais de les imprimer au moyen de blocs de bois spécifiques, en faisant appel en particulier à deux couleurs complémentaires, le rose et le vert (les benizuri-e sont imprimées en rose beni, auquel le vert vient parfois s'ajouter pour produire l'illusion d'un spectre de couleur complet). Il aurait aussi, le premier, utilisé de nouveaux formats, ōban et hashira-e. Sur le plan stylistique, il fait d'autre part de nombreux portraits en pied de courtisanes, d'un style malgré tout différent de ceux que font les Kaigetsudō sur le même sujet.

    L'école Kaigetsudō et leur maître, Kaigetsudō Ando, ont recours à un style dépouillé et somptueux à la fois, qui se caractérise par la peinture de grands kakemonos sur papier, mais aussi sur soie, mettant en scène des femmes hiératiques et mystérieuses. Car les Kaigetsudō, qui comptent parmi les grands noms de l’ukiyo-e, sont d'abord et avant tout des peintres, au point qu'on ne connaît de Kaigetsudō Ando aucune estampe, mais uniquement des peintures. Cependant, les estampes issues de l'atelier des Kaigetsudō que l'on connaît comptent au nombre des plus précieuses de l’ukiyo-e.

    Sukenobu, peintre de bijin (« jolies femmes ») vêtues de somptueux kimonos, amorce une évolution vers des femmes moins majestueuses, plus menues. Ainsi s'amorce un changement important de l’ukiyo-e, puisque Sukenobu est probablement l'artiste qui a eu la plus grosse influence sur Harunobu. Dès cette époque, les « portraits de jolies femmes » (bijin-ga) sont le sujet majeur de l'estampe ukiyo-e, qu'il s'agisse ou non de courtisanes.

     

    Les <<estampes de brocart>> seconde moité du xviiie siècle.

    HarunobuPetit vendeur d'eau, estampe nishiki-e de format chūban.

    Vers la moitié du xviiie siècleHarunobu fournit, à leur demande, des « calendriers estampes » (egoyomi) à ses riches clients. Leur goût des belles choses l'incite à mettre en œuvre les techniques les plus raffinées, débouchant, aux alentours de 1765, sur les nishiki-e, ou « estampes de brocart ». Outre les bijin-ga, les portraits d'acteurs de kabuki constituent un sujet majeur, ce théâtre devenant la distraction phare de l'époque. Apparaissent également dans les estampes de Harunobu des scènes de la vie quotidienne.

    Koryusai, ancien samouraï d'abord formé au style de l'école Kanō, continue dans la veine de Harunobu, avant d'évoluer peu à peu vers un style plus personnel. De son côté, Bunchō réalise lui aussi de fort belles estampes, mais dans un style encore trop proche de celui de Harunobu pour pouvoir être considéré comme novateur. Il est cependant l'un des plus talentueux parmi les héritiers directs de Harunobu.

     

    Shunshō (1726-1793), lui, sait à la fois prolonger l'œuvre de Harunobu, tout en faisant rapidement évoluer de l'ukiyo-e grâce à ses scènes de kabuki et à ses portraits d'acteurs, dans un style bien différent de celui de Kiyonobu, qui avait ouvert la voie au début du xviiie siècle. Ce style annonce celui de Shun'ei, et par conséquent, préfigure celui de Sharaku lui-même.

     

    KiyonagaLe Neuvième Mois (tiré des Douze Mois du Sud). Une courtisane rêveuse contemple la baie de Shinagawa, où la nuit tombe, estampe de format ōban.

    Très vite, dès 1780 environ, l'arrivée de Kiyonaga marque le début de « l'âge d'or » de l’ukiyo-e, qui se poursuit avec Utamaro et Sharaku, dont la maturité éclatante, presque baroque parfois, constitue un apogée, déjà peut-être aussi porteur des premiers signes d'une décadence.

     

    L'entrée en scène de Kiyonaga ouvre une période de classicisme épanoui, d'équilibre, qui voit se multiplier des scènes très vivantes, que peignent aussi Utamaro, ou encore Shunchō. Elles montrent l'arrivée d'une civilisation des loisirs pour les Japonais les plus fortunés :

    - Promenadeen bateau sur la sumida (pentaptyque d'Eishi, par exemple, ou encore Promenade nocturne sur la Sumida, d'Utamaro; 

    - Embarquement pour une croisière nocturne, avec emport d'un panier-repas préparé par un restaurant (Shuncho) ;

    - Excursion champêtre ;

    - Diptyques de kiyonaga montrant des groupes de courtisanes avec des clients prennent l'air sur la terrasse des maisons vertes surplombant d’admirables paysages ;

    - Chasse nocturne aux lucioles (Choki).

    Kiyonaga innove de plusieurs points de vue : tout d'abord, il délaisse le petit format chuban, favori de Harunobu, au profit du grand format ōban, conduisant à des estampes d'un aspect moins intimiste. Plus encore, il introduit de grandes compositions assemblant plusieurs feuilles de format ōban, pour créer des diptyques et même des triptyques ; l'idée sera reprise plus tard par Utamaro, ainsi que par Hiroshige. Ces formats plus importants permettent à Kiyonaga d'y faire évoluer ces grandes femmes sveltes, souvent en groupe, si caractéristiques de son style. 

    Utamaro, de son côté, édite des séries de portraits « en gros plan » de jolies femmes et de courtisanes (okubi-e). Dans sa lignée s'inscrivent de nombreux artistes doués, tels que Eishi, issu d'une famille de samouraïs, et ses disciples EishoEisui, ou Eiri. Formé à la peinture classique avant de s'orienter vers l’ukiyo-eEishi illustre le genre tant par ses peintures que par ses estampes, qui mettent en scène de minces jeunes femmes d'une grâce patricienne. 

    Tant Utamaro que Sharaku ont recours à des formes d'estampe élaborées et luxueuses, faisant appel à de spectaculaires fonds micacés (kira-e), des fonds enrichis de paillettes métalliques (kiri, ou akegane, poudre de laiton, pour imiter l'or, ou de cuivre), par exemple dans les Douze Heures des maisons vertes 青楼十二時Seirōjyūnitoki, d'Utamaro, ainsi qu'à des techniques de gaufrage kara-zuri, ou « impression à vide », ou encore de lustrage par frottage sans encre du papier placé à l'envers sur la planche gravée (shōmen zuri).

     

    Dans le domaine de la représentation d'acteurs de kabuki, le sommet de l'ukiyo-e sera atteint avec Sharaku. Mais déjà, le caractère spectaculaire et excessif de ces estampes montre qu'il sera difficile d'aller plus loin.

    Kira-e, luxueuse estampe à fond micacé représentant l'oiran Hanaōgi(Utamaro, vers 1794)

     

    De nouveaux thèmes (1810 à 1868 (+ ou -))

    HokusaiLa Grande Vague de Kanagawa, estampe de format ōban (ca. 1830).

    Hokusai, et Hiroshige sont les artistes dominants de l’époque. À la suite de l’étude de l’art européen, la perspective fait son apparition, Toyoharu s'attachant dès 1750 à en comprendre les principes, avant de les appliquer à l'estampe japonaise. D’autres idées se voient également reprises et assimilées et la représentation des paysages du Japon devient un sujet majeur.

    Les œuvres de Katsushika Hokusai représentent surtout la nature et des paysages. Ses Trente-six vues du mont Fuji 富嶽三十六景Fugaku sanjurokkei sont publiées à partir d’environ 1831.

    La représentation de la vie quotidienne, croquée sur le vif, prend aussi une grande importance, comme en témoignent les carnets des Hokusai Manga où fleurissent les petites scènes en tous genres (acrobates et contorsionnistes, scènes de bain, petits métiers, animaux divers, etc.).

    De son côté, Hiroshige multiplie lui aussi les croquis pris sur le vif dans ses carnets d'esquisses, où il fige les instants et les lieux dont la contemplation l'inspire particulièrement : on voit ainsi de petits personnages s'activer dans des paysages enchanteurs, souvent le long des rives d'un fleuve.

     
    Hiroshige, scène de la route du Kisokaido, près du village de Nagakubo, estampe ōban.

    Lui et quelques autres créent de nombreuses estampes dont les motifs sont inspirés par la nature. Hiroshige, surtout, devient véritablement le chantre des paysages japonais, avec en particulier ses différentes « routes du Tōkaidō », hymne aux plus belles vues de la campagne sur la route reliant Tokyo et Kyoto.

    En 1842, dans le cadre de la réforme Tenpo, les images représentant des courtisanes, des geishas ou des acteurs (par exemple : onnagata) sont interdites. Ces thèmes renouent néanmoins avec le succès dès qu’ils sont de nouveau autorisés.

     

    Pendant l’ère Kaei (1848-1854), de nombreux navires étrangers arrivent au Japon. Les ukiyo-e de l’époque reflètent les changements culturels.

     

    Ouverture du Japon et du déclin de l'ukiyo-e

     Yoshitoshi, Lin Chong s'éloignant du bord de l'eau (diptyque vertical).

    À la suite de la restauration Meiji en 1868, le Japon s'ouvre aux importations de l’Occident, notamment la photographie et les techniques d’imprimerie. Les couleurs naturelles issues de plantes utilisées dans les ukiyo-e sont remplacées par des teintes chimiques à l'aniline importées d’Allemagne.

    La figure dominante de l'estampe japonaise pendant l'ère Meiji est sans doute Yoshitoshi, élève de Kuniyoshi, et considéré par beaucoup comme le dernier grand artiste d'estampe ukiyo-e. Son style bien reconnaissable, à la fois fin, précis et empreint d'une atmosphère fantastique, n'est pas indigne de ses grands prédécesseurs. Ses estampes recourent pour leur impression à des techniques raffinées telles que le shōmen zuri (impression à l'envers, à sec), qui produit un effet de lustrage du papier et permet par exemple d'imiter la texture de la soie.

    Au xxe siècle, durant les périodes Taishō et Shōwa, l’ukiyo-e connaît une renaissance sous la forme des mouvements shin-hanga et sōsaku hanga qui cherchent tous deux à se distinguer de la tradition d’un art commercial de masse. Ironiquement, le courant shin hanga, littéralement « nouvelles épreuves », est largement encouragé par les exportations vers les États-Unis d’Amérique. S’inspirant de l’impressionnisme européen, les artistes intègrent des éléments occidentaux tels que les jeux de lumière et l’expression de l’humeur personnelle, mais se concentrent sur des thèmes strictement traditionnels. Le principal éditeur est alors Watanabe Shozaburo à qui l’on attribue la création du mouvement. Parmi les artistes principaux, on peut citer Itō Shinsui et Kawase Hasui qui sont élevés au rang de « Trésors nationaux vivants » par le gouvernement japonais.

    Le mouvement sōsaku hanga ,littéralement « estampe créative », moins réputé, adopte une conception occidentale de l’art : l'estampe ne doit pas être le résultat du travail de plusieurs « artisans » (le dessinateur, le graveur, l'imprimeur), mais l'œuvre d'un « artiste » unique, à la fois peintre, graveur et imprimeur, maîtrisant l'ensemble du processus. Ce mouvement s'oppose donc à l’ukiyo-e traditionnel, où les différentes étapes — le dessin, la gravure, l’impression — sont séparées et exécutées par des personnes différentes et hautement spécialisées, dont l'éditeur est souvent le chef d'orchestre. Le mouvement est établi formellement avec la formation de la Société japonaise d’épreuves créatives en 1918 mais connaît cependant un succès commercial moindre que celui du shin hanga dont les collectionneurs occidentaux préfèrent l’aspect plus traditionnellement japonais. Produisant essentiellement des estampes produites à partir de gravure sur bois (comme pour l’ukiyo-e traditionnel), le sōsaku hanga s'intéresse peu à peu de plus en plus aux procédés occidentaux que sont la lithographie, l'eau-forte, ou la sérigraphie, à partir de la fin des années 1950.

     

    Des ukiyo-e sont toujours produits au xxie siècle et demeurent une forme d’art influente, inspirant notamment les mangas et les anime.